Anaïs Junger
Anaïs Junger
Anaïs Junger est Architecte d’Intérieur et Designer Produit, diplômée des écoles Le Corbusier et Camondo. Elle travaille à plusieurs échelles entre l’objet et l’espace. L’expérimentation par la relation entre la main et la matière est au coeur de ses projets.
« FORMES LIBRES SOUS INFLUENCE »
Le moulage industriel n’est-il que duplication ?
Anaïs, concernée comme nous tous par la remise en cause de l’utilisation des matières plastiques au quotidien, décide de remonter aux sources des process de leur fabrication. Elle y découvre des objets peu connus: les empreintes de moules. «L’essentiel des objets qui nous entourent sont en plastique, précise-t-elle, et leurs formes contraintes par moulage. Pourtant, on ne connaît pas ces procédés. L’essentiel manque, la procédure reste voilée. Or elle est d’une évidence telle que tout le monde en saisit facilement son fonctionnement: d’un contact naît une empreinte, unique ou reproduite à l’infini.»
Ces matrices métalliques complexes aux variétés de formes géométriques infinies la fascine. Les similitudes de technique de mise en forme qu’elle constate entre la matière plastique et le verre ont ouverts le dialogue entre deux univers : l’industrie et la manufacture. Curieux, le Centre International d’Art Verrier de Meisenthal lui ouvre ses portes. Subjuguée par l’ambiance prométhéenne des fours et le ballet des maîtres souffleurs, Anaïs découvre son matériau fétiche, le verre, l’un des seuls capable de matérialiser ses intentions formelles dans un délai très court. Elle convainc ces artisans de devenir complices d’une expérience singulière: créer des non-objets soufflés dans les empreintes de moules de plasturgie qu’elle a sélectionnée sur des critères esthétiques.
Des formes libres rivalisant avec leurs homologues fonctionnelles, figées dans l’instant de ses intuitions. Stopper le procédé de soufflage aux limites, avant que la paraison rougeoyante ne devienne un vase, donner vie à des formes dédiées aux objets jetables en plastique que l’on aurait délaissées. «Des objets inédits naissent d’une aventure humaine, autrement dit par l’interaction entre l’outil machine et la main de l’homme. Ils sont à la fois l’expression d’une contrainte par le moule sur la matière et d’une liberté impulsée par le souffle». Un jeu apparemment facile, mais conditionné par l’exigence cruelle de savoir s’arrêter au moment juste, harmonieux.
Une collection libre voit le jour, «sous influence», livrée au public telle quelle. D’un process à l’origine raide et stérile naît par le détournement une gamme de «non-intentionnal design» qui engage l’imaginaire. L’organicité du verre adoucit les arêtes aiguës du métal des moules. Ces objets aptiques et sensibles suggèrent une forme existante comme une âme. Malgré toute la maîtrise du processus, le résultat nous échappe. En cela, il y a surement en ces formes libres une influence poétique.
Outre les objets, le projet réside principalement dans l’espace qui relie le créateur et le regardeur, aux frontières entre l’art, l’artisanat et le design. Anaïs retourne le fameux paradigme de l’ère industrielle : «Form follow fonction». Ici, c’est la fonction qui sera au chevet de la forme. Expérimental, certes, mais pas gratuit. Preuve en est l’appétit de son public de diplôme à détecter un presse-papier, un vase ou une coupe dans une des concrétions hyalines de la créatrice. Certains nostalgiques y verront également un clin d’œil aux insolences des radicaux italiens, Memphis, Alchimia ou encore aux iconoclastes néerlandais de Droog design.
Pour Anaïs, il s’agit avant tout de rencontres exceptionnelles : «Ces objets sont les témoins d’une aventure humaine entreprise à cette période charnière de fin d’études. Sortir de l’école pour aller à la rencontre de ceux qui fabriquent, industriels et artisans, animée d’une volonté naturelle de remettre en question la démarche de conception du designer que l’on m’a enseigné afin d’ouvrir de nouveaux champs de recherche.» De quoi nous rappeler que la création naît rarement des certitudes, mais principalement de la sérendipité: des interrogations, des accidents et du risque.