Sillons

Jean-Pierre (Abel) Bréchet : la peinture comme dialogue avec le monde Ma peinture est une recherche, celle d’un langage qui pourrait me convenir pour dire le monde. Naturellement, mes orientations de travail en croisent d’autres, s’en nourrissent consciemment autant qu’à mon insu, et peut-être ne s’en distinguent-elles que sur des détails. Mais ces détails comptent. Il y a mille façons de dessiner et d’aligner des traits ou des points. Celle qui me convient est visible sur les toiles. Je décide de lignes et d’espacements, d’outils et de matières et j’engage le travail de réalisation. L’action de faire l’emporte sur le jugement du regard. Parfois je m’arrête un instant pour prendre du recul, mais le plus souvent le geste répétitif s’impose. Le sens s’enracine dans le geste, dans l’acte de faire, plus justement dans la succession de gestes qu’il implique. Ce n’est pas du monde des phénomènes dans sa variété de formes et de couleurs dont je veux rendre compte, mais d’une complexité qu’une pensée proprement humaine considère au fondement du monde et des existants. Alors, après avoir représenté des paysages, travaillé les matières et les formes, tracé des traits et sculptés des sillons sur les toiles, des écritures plus mystérieuses sont apparues. Les traits horizontaux et verticaux qui alternaient devaient progressivement se mêler. La trame s’imposait, trouvait sa place et sa légitimité, le tissage était né : tissage des traits, tissage des points pour dire le tissé-ensemble du monde, pour signifier la complexité – le complexus. Ainsi, s’établissait le lien avec mes recherches sur la connaissance humaine. Ce lien explique-t-il quelque chose ? Je ne saurais l’affirmer. Mais je devais l’évoquer. Une certaine fascination s’invitait en même temps que s’affirmait un travail renouvelé, répétitif et laborieux qui me convenait. Une nouvelle décennie s’ouvrait dans la perspective de toiles saturées, aux tracés entremêlés, dans un jeu avec le fond, avec les densifications et les opacités.