Le piège des apparences

"À l'époque où Manet a peint "Le Déjeuner sur l'herbe", la peinture académique était dominée par des règles strictes en matière de composition, de sujet et de style. Manet a délibérément brisé ces conventions en choisissant un sujet provocateur et en le traitant d'une manière radicalement nouvelle. En mettant en scène une femme nue dans un contexte contemporain, Manet a remis en question les normes sociales et morales de son époque. Cette représentation audacieuse a soulevé des questions sur la représentation du corps féminin dans l'art et a suscité des débats sur la sexualité, la morale et la place des femmes dans la société.

Je propose une toile qui renverse les codes actuels d'appréhension du corps féminin et de son objectification.

Amorçant la démarche artistique, je transpose, dans un premier temps, l'ambiance caractéristique de l'œuvre original, empruntant à sa palette huit nuances de couleur, lesquelles, mises en dégradé, engendrent un fond organique, abstrait et captivant. La visée étant d'instaurer une atmosphère évoquant les espaces verts, les abords d'un lac, où foisonne une végétation exubérante. L'été s'impose, baignant les lieux lacustres et la lisière boisée de pins d'une douceur émanant principalement des plages landaises.

Quant à la matérialisation picturale de la scène, mon choix émane du regard du spectateur, véritable pivot vital de cette œuvre.

Je conserve les personnages de Manet, les plaçant dans une composition différente. Deux hommes contemporains en avant-plan font face au spectateur, leur regard méfiant vis-à-vis du spectateur, comme si ce dernier n'était point convié à participer à la scène. La gêne se ressent dans leur posture insufflant une atmosphère de profonde gêne. Les femmes en arrière-plan, sereines et décontractées, transcendent toute gêne, car dans cette composition, la norme prédominante réside en la sexualisation des seins masculins.

La décision de laisser les personnages inachevés, tels des ébauches, est délibérée. Mon intention est de forger une atmosphère où les personnages échappent à toute catégorisation culturelle, stylistique ou sociale. Ici, seul le tracé érige leur identité, le reste demeurant en l'apanage de l'imaginaire du spectateur.

Le spectateur, dans ce contexte, devient l'instigateur du malaise, observant, celui dont le regard se révèle inopportun à la curiosité indiscrète.

Le caractère intrinsèque de cette scène réside dans sa capacité à mettre en relief l'objectivation et la sexualisation du corps féminin, orchestrant une inversion des rôles sociétaux dominants."